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Libération - Débats
 
 


Le Palestinien veut-il plus que la Cisjordanie et Gaza? L'Israélien accepte-t-il l'idée d'un Etat pour l'autre? Il faut qu'ils le disent.

Sharon, Arafat, que voulez-vous?

Par Marek HALTER
Marek Halter est écrivain. Derniers ouvrages parus: «le Vent des Khazars» (Laffont, 2001) et «le Judaïsme raconté à mes filleuls» (Pocket, 2000).

Le jeudi 24 janvier 2002


Personne ne connaît les objectifs réels d'Ariel Sharon. Que propose-t-il à la population palestinienne qui refuse de vivre sous la loi israélienne? Tous les jours, des Israéliens et des Palestiniens meurent en direct sur les écrans de nos télévisions. Nous voyons des femmes lever les bras au ciel dans un geste qui rappelle la tragédie antique et nous ne savons plus s'il s'agit de mères arabes ou de mères juives. C'est horrible à voir, c'est dur à accepter. Dur à cause de l'idée que nous nous faisons de la vie et de la mort. Mais soyons honnêtes: ne réagissons-nous pas souvent davantage pour protéger notre conscience que pour défendre les hommes et les femmes qui s'affrontent là-bas, en Terre sainte? N'est-ce pas par confort moral que nous distribuons la plupart de nos conseils et de nos condamnations?

Que se passe-t-il au juste sur le terrain? Deux peuples apeurés ­ peu importent les raisons historiques de cette peur ­ ont le sentiment de se battre pour leur survie même. Les vendettas quotidiennes les confortent dans cette idée: l'autre veut ma mort, seule sa mort m'assurera la vie.

Qu'en pensent les dirigeants, l'Israélien Sharon et le Palestinien Arafat? Quelles sont leurs stratégies? Que peuvent-ils faire maintenant qu'ils subissent la peur de leurs peuples après l'avoir si bien utilisée à leurs propres fins? Ils peuvent tout. A condition de dévoiler leurs objectifs et d'expliquer à leurs populations le bien-fondé de leurs choix.

La survie n'est pas un objectif à elle seule: tout individu, tant qu'il est vivant, entretient un rêve, tend vers un but. Prenons les Palestiniens. Le but avoué de leur lutte n'est-il pas un Etat indépendant aux côtés d'Israël? Or, au mois de juillet 2000, à la conférence de paix de Camp David et en présence du président Bill Clinton, le Premier ministre israélien Ehud Barak a proposé cet Etat au président de l'Autorité palestinienne, Yasser Arafat. Proposition réitérée, tracés de frontières à l'appui, en janvier 2001, à Taba. Pourquoi le leader palestinien a-t-il rejeté cette offre? J'ai vu la carte: elle comprenait toute la Cisjordanie et une partie de Jérusalem. N'est-ce pas ce que les Palestiniens ont toujours réclamé?

Ce refus a justifié les thèses du candidat au poste de Premier ministre de l'Etat hébreu, Ariel Sharon: «Arafat ne veut pas un Etat indépendant aux côtés d'Israël mais à la place de celui-ci.» L'argument a porté: Sharon a été élu et les Israéliens ont peur. Cette peur se nourrit d'une question: pourquoi Arafat n'a-t-il pas proclamé son Etat à partir des territoires qu'il contrôle depuis les accords d'Oslo? La communauté internationale aurait immédiatement reconnu cet Etat, ce qui l'aurait protégé, et la négociation avec Israël aurait pris une tout autre tournure.

Pour la majorité des Israéliens, y compris la gauche pacifiste, c'est la preuve que l'objectif de Yasser Arafat est en fait inavouable: il vise un territoire beaucoup plus vaste que la Cisjordanie. Qu'il ne s'agirait pas pour lui de libérer uniquement Ramallah et Tulkarem mais aussi Tel-Aviv et Haïfa. Les cartes de la région, placardées sur les murs des bureaux de l'administration palestinienne comme dans les écoles, ne mentionnent toujours pas Israël. Les discours d'Arafat ­ démagogie ou mascarade ­ en direction de son peuple, entretiennent le flou.

On comprend mieux dans ces conditions pourquoi les Israéliens adhèrent à la politique de Sharon. Mais Sharon lui-même, que veut-il? Lors de la campagne électorale, il avait promis la sécurité et la paix. La sécurité? Parlons-en: sous son mandat, le nombre de morts israéliens a plus que doublé. Quant à la paix, elle n'est pas à l'horizon. Pour l'atteindre, il faut être deux. Si aux yeux de Sharon Arafat n'est pas l'interlocuteur valable, qui pourrait prendre sa place à la table des négociations? Les dirigeants du Hamas? Pourquoi pas? Dans ce cas, il faut le dire. Ou veut-il réoccuper les territoires que ses prédécesseurs avaient remis à l'Autorité palestinienne?

Personne ne connaît les objectifs réels d'Ariel Sharon. Accepte-t-il l'idée même d'un Etat palestinien? Pense-t-il pouvoir en faire l'économie? Que propose-t-il à la population palestinienne qui refuse de vivre sous la loi israélienne? A quoi doivent aboutir ses actions militaires, par-delà la préoccupation sécuri taire? Quel est le but de sa politique?

«Chaque créature, disait il y a plus de sept cents ans Maître Eckart, fait son ouvrage en vue d'un but.» Le théologien allemand ajoutait devant ses élèves strasbourgeois: «Le but est toujours la première chose dans la représentation et la dernière dans l'ouvrage.»

N'avons-nous pas envie de crier à ces deux-là, Sharon et Arafat: «Que voulez-vous, au juste?! Quels sont vos buts de guerre et ­ si vous en avez ­ quels sont vos buts de paix?»

En quoi cela les rapprocherait-il de préciser leurs objectifs? Cela les engagerait. Même un mensonge engage, surtout en politique. La communauté internationale, les dirigeants comme les simples observateurs que nous sommes, les prendra au mot, leurs propres populations aussi, et c'est elles qui votent.

Tant que nous ne connaîtrons pas les véritables intentions de l'Israélien Sharon et du Palestinien Arafat, nous ne ferons que de la politique-fiction en imaginant une solution idéale: deux Etats côte à côte et en paix. Pour l'instant, il ne nous reste que la morale: «Celui qui tue un homme, c'est comme s'il avait tué toute l'humanité...» C'est écrit dans le Talmud. C'est écrit dans le Coran.

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